TRANSMETTRE
Quoi, comment, à qui… et pourquoi !
D’aussi loin que remonte l’histoire de l’humanité, des vestiges nous parviennent, attestant d’une évidente volonté de transmission du savoir et des connaissances acquises par l’homme, plus particulièrement au cours des millénaires qui nous ont précédés.
L'Homme a toujours cherché à améliorer ses connaissances, afin de maîtriser son avenir. Cependant, la seule expérience de son propre vécu ne pouvant lui suffire, sa durée de vie étant bien trop limitée pour cela, l'homme a exploré les moyens d’acquérir et de transmettre le savoir de ses aînés. Que ce soit par des représentations graphiques peintes sur les parois de ses habitations ou directement de façon orale, il s’est appliqué à pérenniser ses connaissances pour les générations à venir. L'exemple le plus connu est sans aucun doute l'Ancien Testament, (ou tout du moins les cinq livres constituant le Pentateuque), qui furent transmis oralement pendant des générations de père en fils.
La naissance de l’écriture, puis de l’imprimerie par Gutenberg, marque un tournant décisif dans la transmission du savoir. Aujourd’hui, chacun peut immédiatement trouver ce qu’il cherche sur internet. Cependant, pouvoir profiter de la quasi-totalité des acquis des générations précédentes ne comporte pas que des avantages car certains documents peuvent être faux, corrompus, voir mal compris. D’autant que la science ayant ses limites, ses interprétations peuvent être multiples. C’est pourquoi la vérité n’appartient qu’à ceux qui inlassablement la cherchent.
Si la science peut être accessible à tous, la spiritualité, quant à elle, est individuelle, et ses moyens d’accès sont nombreux. Qu’elle soit guidée par la foi ou par une recherche personnelle, elle permet d’élever sa conscience en différents niveaux. Pour ce faire, toute spiritualité ayant son point d’ancrage, elle fait généralement référence à un évènement fondateur, parfois historique, parfois mythique et le plus souvent sur les deux.
Les évènements auxquels se réfèrent nombre de sociétés réputées ésotériques peuvent être appréhendés de plusieurs façons. Soit sur un plan strictement scientifique, c’est à dire par le constat de faits liés à des preuves matérielles ; Soit sur un plan symbolique, liant les faits à des valeurs propres à définir un corpus doctrinal. Si l’histoire peut apporter la preuve des évènements sur lesquels se fondent les traditions, ce sont les mythes qui transcendent la vérité des faits et véhiculent des valeurs spirituelles pouvant s’y rapporter.
Ces valeurs peuvent être d’ordre moral, spirituel, prophétique ou pratique selon qu’elles s’adressent à tel ou tel type d’individu, et sont généralement transmises par initiations successives. L’originalité de cette méthode est de garantir l’authenticité de ses filiations.
La franc-maçonnerie quant à elle, est réputée initiatique. C'est-à-dire qu’elle véhicule de façon ininterrompue, un certain nombre de traditions dont elle se considère dépositaire, soit par filiation historique soit par filiation spirituelle. Dans ce dernier cas, la transmission se fait lors de cérémonies d’ordination de type sacerdotal où les utilisateurs doivent s’engager à respecter rigoureusement l’esprit et la lettre des Rites qu’ils entendent utiliser, sous réserve de perdre leur légitimité en cas de manquement.
Ainsi, depuis que le Grand Orient de France a fait scission d’avec la Grande Loge d’Angleterre, deux courants de pensée sont apparus et ont divisé l’Ordre maçonnique, bien que revendiquant de part et d’autre leur légitimité à représenter l’idéal maçonnique dans sa pureté. Pour les uns qui considèrent que la tradition requiert une transmission sacralisée, c’est la préexistence d’une règle basée sur les Anciens Devoirs et l’Ancien Testament qui fait force de loi. Pour les autres, la tradition est un support ésotérique, sur lequel la qualité du Maçon s’inscrit pour son évolution spirituelle au sein de l’Ordre.
Ces sortes de divisions internes, s’exacerbent d’autant plus que d’importants bouleversements ébranlent la société. On parle alors de Maçonnerie régulière, c'est-à-dire attachée à une règle initiatique, et faisant référence au Grand Architecte de l’Univers, et de maçonnerie séculière travaillant au progrès de l’humanité. Pourtant ces différences sont compatibles entre elles, pour preuve les invocations et évocations que tous formulent au sein de leurs ateliers, à l’ouverture et à la fermeture de nos travaux.
Ceci, d’ailleurs, n’est nullement particulier aux rites initiatiques, mais s’applique tout aussi bien aux rites d’ordre exotérique ou religieux, qui ont pareillement leur efficacité propre. Nous retrouvons ce même schéma au sein du catholicisme où l’église séculière de Rome ne s’oppose pas à celle des monastiques qui suivent la Règle de Saint Benoît !
Cependant, pour que ces rites soient efficients, il convient qu’ils soient accomplis selon des règles parfaitement établies, et par qui, en a reçu le pouvoir temporel ou spirituel, voir les deux. C’est là que la Franc-maçonnerie se divise vraiment. Les uns considèrent que le pouvoir spirituel ne peut se transmette que lors de cérémonies à caractère ésotérique, tandis que les autres se contentent du pouvoir temporel et limité, que leur octroie leur administration.
Mais quelle que soit l’option choisie, le rôle de celui qui confère l’initiation à un autre est bien véritablement un rôle de « transmetteur », au sens le plus exact de ce mot ; il n’agit pas en tant qu’individu mais en tant que support d’une influence qui n’appartient pas à l’ordre individuel ; il est uniquement un anneau de la « chaîne » dont le point de départ est en dehors et au-delà de sa propre humanité (d’où l’invocation au Grand Architecte de l’Univers). C’est pourquoi il ne peut agir en son propre nom, mais au nom de l’organisation à laquelle il est rattaché et dont il tient ses pouvoirs, ou, plus exactement encore, au nom du principe que cette organisation représente visiblement.
Encore faut-il que cette organisation ne soit pas manipulée par des idéologies préjudiciables à l’esprit d’indépendance et de liberté de conscience de ses membres. Réputée a dogmatique et apolitique, la Franc-maçonnerie ne peut, et ne doit pas souffrir de la vindicte populaire, sous le prétexte fallacieux d’être soumise, contre son gré, à l’autorité politique de ses dirigeants.
Les questions proposées à l’étude des Loges, qu’elles soient sociales ou sociétales, pour lesquelles les maçons sont annuellement sollicités, démontrent à quel point la diversité de leurs points de vue ne peut converger vers un consensus, voir sur une conscience politique. En conséquence, la franc-maçonnerie ne devrait transmettre que des valeurs morales susceptibles de s’épanouir au sein des diverses couches de la société. Mais, ce bel idéal de fraternité initiatique a son côté sombre, celui de ses réseaux d’influences qui polluent et desservent l’image de l’Ordre, encouragés par qui en tire un substantiel avantage. Bien que nul ne peut s’autoriser à parler au nom de la Franc-maçonnerie, sans immanquablement la trahir, certaines autorités au pouvoir régalien ne s’en privent pas. La réflexion philosophique, passée au crible d’une censure sélective est alors mise au service de l’action politique, ce qui est très éloigné de l’esprit de transmission initiatique de ses rituels.
L'ésotérisme, en Franc-maçonnerie, nous amène à considérer toutes les traditions comme étant les éléments constitutifs d’un archétype pour l'évolution de l'humain. Dépositaire d’aucun secret, la Franc-maçonnerie ne véhicule aucun dogme. Elle perpétue une technique dite initiatique, où chacun peut acquérir et transmettre ce qu’il reçoit en partage. La fraternité y joue un rôle prédominant, surtout dans ses premiers degrés, mais par le choix ciblé des symboles qu’elle propose, elle suscite un travail en profondeur qui permet d’élever la conscience spirituelle de ses membres.
Transmettre comment !
La Franc-maçonnerie est donc initiatique. C'est-à-dire qu’elle transmet ses valeurs au cours de travaux comparables à un éveil progressif de la conscience. Elle n’enseigne rien, elle suggère seulement des voies à explorer. Elle ne change pas les personnes qu’elle initie, elle leur permet simplement d’évoluer. Pour cela, elle utilise des Rites et des Rituels qui, en faisant vivre des traditions ancestrales sont porteurs d’un langage qui met en relation avec le sacré. C’est pourquoi il convient de transmettre fidèlement et sans trahir ce que l’on a reçu, en s’interdisant toute modification, toute invention, ce qui exige de grands efforts de compréhension, d’humilité et de respect. Aussi, pour transmettre ces valeurs sur lesquelles nous nous reconnaissons tous, encore faut-il les avoir acquises, bien comprises, et intégrées. Ce qui n’est pas toujours le cas chez certains Maîtres inexpérimentés, qui toutefois se proposent à des postes de responsabilité, sans toujours avoir la pleine conscience du devoir des charges qu’ils devront assumer. La maturité maçonnique n’est pas systématiquement proportionnelle au temps passé sur les colonnes. Aussi est-il utile, voir raisonnable, de s’assurer auparavant du bien fondé de la motivation des postulants, et du sérieux de leurs engagements, avant de leur confier un office, car c’est par l’exemplarité de leur fonction qu’ils seront à même de faire vivre le rituel et de nourrir l’égrégore de leur loge.
Le rôle de la transmission dans un ordre initiatique est de permettre à chacun de naître et de renaître par étapes successives, de croître et de produire, trois fonctions correspondant aux degrés d’apprentissage, de compagnonnage, et de maîtrise, nécessaires pour agir au mieux dans la société. Aussi, rien ne se transmet dans l'anarchie, mais selon un processus organisé, fruit d’une tradition, et avec tout le cérémonial nécessaire.
L’initiation imposée au profane lors de sa première entrée dans le sanctuaire du temple est censée marquer une rupture avec son passé. Cependant l’initiation avec un grand I n’est jamais complètement acquise. C’est un combat permanent pour respecter les engagements contractés sur l’Autel des Serments. Honnêteté, probité, tolérance, fraternité etc, toutes ces valeurs qui font reconnaître un véritable franc-maçon. Ce combat nécessite un soutien, comme celui des Sœurs et des Frères associés à notre quête et témoins de nos efforts. C’est pourquoi il est souhaitable, voir nécessaire, de revenir souvent se ressourcer et partager les bienfaits d’une chaîne solide au sein d’un atelier où règne l’harmonie.
Transmettre à qui !
Parler de transmission initiatique à un profane n’a aucun sens: la transmission initiatique ne peut s’adresser qu’à des individus parfaitement préparés.
Dans un monde où règnent l’égoïsme et la course au pouvoir, très peu d’individus prennent conscience de leurs devoirs vis-à-vis de leurs semblables, et seraient prêts à s’engager bénévolement au progrès de l’humanité. C’est pourquoi la Franc-maçonnerie sélectionne par cooptation ses membres parmi des hommes et des femmes de bonne volonté, disponibles et susceptibles de pérenniser l’altruisme de ses valeurs.
La transmission est avant tout un acte de communication et d’échange entre les êtres ; c’est aussi un acte d’Amour. On transmet la vie, on transmet un savoir, on transmet l’Amour d’un Art, on transmet une tradition…C’est perpétuer et organiser la continuité dans l’échange. Elle nécessite un choix et une responsabilité personnelle, voir collective dans la transmission de l’identité initiatique. Le sens de notre quête montre que notre vie de Maçon est liée à l’action.
C’est pourquoi il est de notre devoir à tous, de guider ceux ou celles que nous avons reconnus aptes à nous rejoindre, et de les accompagner sur le chemin de l’initiation. Pas seulement les officiers en charge d’enseigner par l’exemplarité de leur fonction, le processus initiatique du rituel ! Pas seulement les Surveillants qui accompagnent les Apprentis et les Compagnons durant les premières années de leur parcours maçonnique. Non, nous tous, qui par notre écoute, nos conseils et nos encouragements, les soutiendrons dans ce long cheminement qui les conduiront peut être un jour, à prendre des responsabilités et transmettre à leur tour ce que nous leur aurions possiblement apporté.
Car le maçon ayant ouvert sa conscience et son entendement par le cheminement initiatique, se doit de rentrer dans une dynamique de transmission de ses connaissances, de ses valeurs, de son éthique et de son expérience, pour remplir sa mission de rayonnement sur son entourage, et participer plus ou moins activement au progrès de l’humanité. Passeur de lumière, il est de son devoir de partager ses acquis avec toutes personnes susceptibles de les recevoir, et plus tard les transmettre. Ce n’est pas la moindre de ses responsabilités car le choix lui incombe la prudence et le discernement, lorsqu’il s’agit de sélectionner de nouveaux adeptes. Il existe un risque bien réel dans ce domaine, et l’on peut s’interroger sur les précautions ou attitudes à prendre et à observer.
C’est pourquoi, outre les différentes rencontres et enquêtes des profanes en instance, la Franc-maçonnerie a prévu trois degrés de transmission, trois niveaux d’intégration où le nouvel initié va se parfaire pour mériter la confiance de ses pairs.
Transmettre pourquoi !
Comme je l’ai dit précédemment, La Franc-maçonnerie ne transmet pas de secrets, mais une technique permettant progressivement d’acquérir des connaissances théoriques propres à créer l’harmonie universelle, ainsi qu’une certaine maîtrise permettant de les mettre en œuvre. Elle encourage ses membres à s’investir pour le progrès de l'humanité, tout en laissant à chacun de ses membres le soin de préciser, à sa convenance, le sens de ces mots.
La Franc-maçonnerie possède un patrimoine qu’elle se doit de préserver, celui du travail de ses pairs, ces premiers maçons spéculatifs qui nous ont légué cet esprit d’indépendance, de liberté, de tolérance et de fraternité qui nous anime aujourd’hui. C’est cette tradition initiatique, cette quête personnelle, ce désir de progresser et de comprendre pour agir, au-delà des opinions partisanes et des carcans sociaux, de la pensée unique, des clichés réducteurs et stériles, c’est cette tradition initiatique dis-je, qui nous permet de tendre vers l’idéal que nous nous sommes tous librement imposé : le perfectionnement spirituel, moral et matériel de l’humanité.
Par ses valeurs humanistes, ses traditions certes d’un autre âge, et son approche symbolique des mystères, le franc-maçon est parfois considéré comme un marginal un peu fêlé. Mais, comme l’écrivait si justement notre Frère Michel Audiard, « il faut bien être un peu fêlé pour laisser passer la lumière ».
J’ai dit
Robert MINGAM