SOURCES DES RITES EGYPTIENS

 

 

 

La tradition maçonnique a cette particularité de s’enraciner dans l’histoire et de se fonder sur des mythes. Le rite oriental de MISRAÏM possède une historicité maintenant relativement bien établie, et a su intégrer des éléments trouvant leur origine dans les traditions et initiations occidentales plus anciennes. Car il faut bien distinguer les filiations historiques, de celles qui se fondent sur la communauté d’esprit et d’idéaux.

Le rite Oriental de MISRAÏM est l’un de ces rites que la légende, les mythes ou les fantasmes ont accompagnés durant toute son existence. Beaucoup plus ancien que l’on imagine habituellement, il nous conduit à nous interroger sur des points essentiels de la maçonnerie en général.

La Franc-maçonnerie actuelle n'est pas une école initiatique : elle ne donne aucun ensei­gnement dogmatique; elle respecte obligatoire­ment l'opinion de tous et celle de chacun ; elle n'est pas une université d'occultisme ; elle n'est pas dirigée par une hiérarchie de didascales, qui enseignent des néophytes et leur transmettent secrets   ésotériques   et  pouvoirs   initiatiques ;   ses dirigeants sont en certains pays des athées con­vaincus, que seul le progrès matériel et social inté­resse directement ; sans doute, elle donne la plu­part de ses instructions par le canal traditionnel du symbolisme; mais ce dernier n'est pas religieux; n'a pas de  tendance  mystique  et  repousse au contraire nettement toute intrusion d'un élément irrationnel dans la formation qu'elle donne à ses adeptes.

Toute différente était la maçonnerie du 18e siècle ! Elle ne groupait, en la plupart des rites, que d'ardents spiritualistes. Loin de se limiter à la recherche du bonheur humain, à l'émancipation des esprits, à l'éducation du cœur, elle mettait sa préoccupation essentielle dans la conquête de la Vérité, dans l'effraction des mille secrets de la Nature, dans les expérimentations les plus hardies dans le domaine spirituel. De là, cette extraordi­naire floraison des rites les plus variés, des obé­diences les plus singulières, des hauts-grades les plus mystiques et les plus hermétiques : pour nous en convaincre, il faut et il suffit de lire simple­ment la nomenclature des degrés qui constituent la maçonnerie égyptienne. Les religions, l'alchi­mie, l'hermétisme, la kabbale s'y rencontrent et s'y mélangent ; l'arbre de Misraïm est une école de secrets de toute espèce et ses quatre derniers degrés du régime napolitain, nous apportent les secrets les plus considérables de la tradition spiritualiste la plus vénérable.

Au XVIIIe siècle, dans le Sud de l’Italie et en Sicile, il y avait un certain nombre de loges qui travaillaient hors de la vue de la Sainte Inquisition. L’Egypte et Malte étaient des creusets bouillonnants d’activités hermétiques qui débordaient et touchaient l’Italie toute entière. D’abord Naples, qui se passionna pour les traditions égyptiennes dont on a hérité depuis l’Antiquité, et de sa vision de l’Egypte tournée vers l’initiation et les mystères. Les Pyramides envoûtaient. Les chercheurs interrogeaient les œuvres d’hommes tels que Giordano BRUNO (1548-1600), Tommasso CAMPANELLA (1568-1639), SPONTINI, alchimiste, Franco Maria SANTINELLI (Fra Antonio Crassellame Chinese), ainsi que des groupes Rose+Croix. Il existait alors un certain nombre de loges dans les provinces méridionales et en Sicile.

Le Rite Oriental de MISRAÏM serait né de la fusion de plusieurs Rites ésotériques et gnostiques. Officiellement celui-ci remonte à plus de deux siècles. Il revendique une première filiation, venant d'un Rite Primitif qui aurait été pratiqué à Paris en 1721, mais dont l'existence n'a jamais été historiquement démontrée.

Aucun auteur britannique ne mentionne ce Rite Primitif qui n’aurait jamais existé. Personne ne veut, ni ne peut admettre, une initiative intervenant tout juste quatre années après la création de la Grande Loge de Londres - tout comme l’Ordre de la Concorde qui admettait les femmes dès 1718 ou la Loge de la Parfaite Union de Belgique de 1720 - et qui ne se réclame pas d’elle. Depuis 1717 donc, toute instance maçonnique pour exister doit détenir une Patente de Grande Loge de Londres, Or, la Grande Loge n’a jamais délivré de Patente au Rite Primitif. Donc, ce Rite n’existe pas, n’ayant jamais eu l’autorisation d’exister.

Ce n’est cependant pas l’origine plus ou moins ancienne d’un Ordre maçonnique ou la fondation de ses Rite qui ennoblissent ou font apparaître son orthodoxie, voir son authenticité, mais l’exactitude de ses enseignements et son respect des doctrines maçonniques.

Plusieurs Rites ou Ordres initiatiques ont existé en France durant le XVIIIe siècle. Ils se présentaient comme héritiers de divers courants mystiques non maçons beaucoup plus anciens. C'est le cas par exemple en 1759 du Rite Primitif de Narbonne, en 1767 des Architectes africains, en 1780 du Rite primitif des Philadelphes, en 1785 du Rite des parfaits initiés d'Egypte, en 1801 de l'Ordre sacré des Sophisiens et en 1806 des Amis du désert.Ces Rites s'inspiraient de ce que l'on appelait la « tradition    égyptienne », et consistaient en une association de traditions et de textes, telles qu'ils étaient compris à cette époque.

Concernant ces Rites Egyptiens, ce fut le cas par exemple du roman pseudo-initiatique, « Sethos ou Vie tirée des monuments et anecdotes de l'ancienne Egypte » de l'Abbé Jean TERRASSON (1731) helléniste et académicien, qui édita en 1728 un de "l'Oedipus aegyptianicus" d'Athanase KIRCHER (1652) et du "Monde primitif" de Court de GEBELIN (1773). La Kabbale judéo-chrétienne, l'hermétisme néo-platonicien, l'ésotérisme, les traditions chevaleresques et autres trouvaient également là une source naturelle d'expression. C'est ainsi que CAGLIOSTRO, par exemple, qualifia le rite qu'il constitua dans les années 1780 de « Rite de la haute maçonnerie égyptienne »

Dès 1745, à Naples s’opère une intense activité de recherches sur la Franc-maçonnerie de tradition égyptienne menée par d’illustres personnages.

Le premier repère historique vérifiable semble être la constitution d’une « Grande Loge de la Maçonnerie » vers 1750 à Naples, dont le Grand Maître était Raimondo di SANGRO, Prince de San Severo (1710-1771), descendant de Charlemagne, alors âgé de 37 ans, colonel en 1744 mais aussi inventeur, écrivain et académicien italien, occultiste passionné d’alchimie et de magie de la transmutation.

C'est aussi sous la grande maîtrise de ce prince que le baron Louis Henri Théodore de TSCHOUDY (1724-1769) qui ignorait encore la filiation égyptienne, comme d’ailleurs les rituels apocryphes dont on lui fait endosser la paternité, instaura et développa son « Rite hermétique » nommé " Étoile Flamboyante ", ou encore l’Ordre des Philosophes Inconnus. Son Rite, organisé en 7 degrés comprenait, outre les trois degrés bleus, les degrés suivants : Maître Parfait, Parfait Elu et Petit Architecte, Parfait Initié d’Egypte et le Chevalier du Soleil.

Le Baron TSCHOUDY l’introduisit en France où celui-ci sera très prisé. Mieux, certains degrés du Rite Hermétique seront adoptés tant par le Rite Ecossais Ancien que par le Rite de Misraïm.

Le catéchisme de ce Rite basé sur l’hermétisme et l’alchimie, expliquait le Grand Œuvre à partir des principaux symboles maçonniques. On retrouve une trace de ce rite dans le " Système philosophique des anciens Mages égyptiens revoilé par les prêtres hébreux sous l'emblème maçonnique " qui était organisé en sept degrés. Ce système avait pour chef à vie Charles GEILLE, né en 1753, qui était Grand Maître du Temple du Soleil de la Société des Philosophes Inconnus, société à but essentiellement alchimique.

C’est dans ce cercle nourri des écrits de Michel SENDIVOGIUS (1566-1646), dit le Cosmopolite, qu’il faudrait chercher les origines de ce qui sera plus tard le Rite de MISRAÏM.

La fin des années 1760 marque une nouvelle étape, lorsque commencent à circuler des traités d’initiation « égyptienne », comme celui de Karl Friedrich von KOPPEN (1734-1797) et Johann Wilhelm Bernhard HYMMEN (1731-1787).

 

Le Rite Primitif

Le Rite Primitif, organisé en 1759 par le Vicomte CHEFDEBIEN D’AIGREFEUILLE à Prague, alors haut lieu de l’Hermétisme a été amené à Narbonne en 1780. Parmi ses membres, il y avait MARCONIS de NEGRE « père », qui était détenteur de tous les degrés du Rite Ecossais Ancien Accepté et de ceux de l’ancien Rite de Perfection.

 

Le Rite des Architectes Africains

Le " Rite des Architectes Africains " (comprenez,Égyptiens ") fut créé à Berlin en 1767 par un officier  de l'armée  prussienne,  Friedrich  von  KÖPPEN  (co-auteur avec von Hymmen de Crata

         Le Baron TSCHOUDY          ’Repoa (1770), signifiant les Forces souterraines, sous les auspices de Frédéric II le Grand). Ce livre prétendait décrire l’initiation antique qui se donnait dans la grande pyramide en sept degrés (Pastophore ; Nécophore ; Mélanophore ; Christophore ; etc.). Deux Français, BAILLEUL et DESETANGS, devaient en diffuser une version française en 1821. Ce traité, qui n’est qu’un roman, dont il semble d’ailleurs que CAGLIOSTRO ait revendiqué la paternité, se rapporte vraisembla-blement aux rites de l’Ordre royal du silence des Architectes surnommés Africains. Ce serait ainsi le premier rite maçonnique égyptien connu, dont un chapitre provincial sera installé à Paris en 1778, par Frédéric KHUN. Mais cet ordre-là attend encore son historien.

Ce rite était organisé en 7 classes et fut pratiqué en Allemagne jusqu’en 1806. Il fut introduit en France en 1770 avec une structure composée de onze grades regroupés en triade (Osiris, Isis, Horus) et dont les appellations sont directement reliées à l’Egypte antique (Ex. : « initié aux secrets égyptiens », « Maître des secrets égyptiens », « disciple des égyptiens », « Porte de la mort »). Ce rite permettait de révéler les secrets de l’antique Egypte avec un aperçu sur l’alchimie, l’art de décomposer les substances et de combiner les métaux.

 

Le Rite des Philadelphes

La loge " Les Philadelphes " fut créée par le Vicomte François-Anne de CHEFDEBIEN D’ARMISSON et ses fils, dont cinq étaient chevaliers et officiers de l'Ordre de Malte, et du Rite primitif des philadelphes, également constitué à Paris en 1779 par SAVALETTE de LANGES, qui avait créé plus tôt, le 23 avril 1771, avec l’aide de nombreux Maçons, la loge Les Amis Réunis, qui s’occupait d’occultisme, d’alchimie et de théurgie.

Le Rite (ou Rit) Primitif des Philadelphes comportait un nombre incalculable de "grades" répartis en plusieurs classes et degrés, dont les détenteurs étaient regroupés en "chapitre". Le dernier chapitre concernait les grades de "Fraternité Rose+Croix de Grand Rosaire".

Certains Francs-maçons contestèrent la validité de tous ces grades et considérèrent leur fondateur, le Marquis de CHEFDEBIEN, comme un illuminé teinté de charlatanisme. D'autres considérèrent au contraire les Philadelphes comme de réels mystiques qui ont marqué l'histoire de la Franc-maçonnerie.

Le Marquis d'Armissan François-Marie de CHEFDEBIEN (1753-1814), chevalier de Malte, participa au Convent de Lyon, en 1778, en tant que représentant de la Septimanie pour le Rite Ecossais Rectifié (RER) et au Convent de Wilhelmsbad en 1782 comme représentant de la 3ème province de la Stricte Observance Templière... Il collabora activement avec le Marquis Charles, Jean, Pierre, Paul SAVALETTE de LANGES (1746-1797) au sein des Philalèthes (12ème et dernière classe du rite de la loge des Amis Réunis) à l'observation et l'archivage d'un grand nombre de sociétés maçonniques ou autres, et à la constitution d'une vaste bibliothèque, instrument de leur recherche de la "Vérité Unique" et de l'origine réelle du monde maçonnique. Cela mena les Philalèthes à deux convents inachevés. La hiérarchie de grades des Philadelphes correspondait en réalité à l'accès, selon le niveau, à divers documents de leur loge et de la bibliothèque des Philalèthes. En quête d'une sagesse immémoriale, le Marquis de CHEFDEBIEN fut donc un touche-à-tout du monde maçonnique et "ésotérique" de son temps.

En marge des marginaux, mais au cœur de la maçonnerie égyptienne dont il incarne à l’en croire l’orthodoxie, la haute figure, longtemps méconnue et injustement maltraitée, de Balsamo-CAGLIOSTRO intrigue et séduit.

Le plus important des rites égyptiens est sans conteste celui de CAGLIOSTRO et de sa Haute Maçonnerie Egyptienne, dont l’existence était attestée le 22 août 1781 à Strasbourg, mais il aurait été bien plus ancien. Légué par CAGLIOSTRO, de son vrai nom Joseph BALSAMO (1743-1795). Joseph BALSAMO est né à Tunis. Il appartenant à la famille Balsamo, petite noblesse pauvre sicilienne. Il avait hérité de son titre de Comte de CAGLIOSTRO par son oncle qui l’avait par testament chargé de relever le nom, le titre et les armes, comme il était d’usage de le faire en ce temps-là. Il a donc légitimement changé d’identité en devenant le Comte de CAGLIOSTRO .

On peut dire que ce rite, qui était véritablement initiatique, tirait ses origines de ce personnage connu à Venise sous celui de marquis de PELLEGRINI, dont Gérard de NERVAL et Alexandre DUMAS, notamment, en ont fait le prototype légendaire de l’escroc brillant et bouffon, sorcier et prestidigitateur. Un peu souteneur et un peu espion pour les uns, Grand Initié sans attache, magicien et enchanteur pour les autres, acteur occulte de la Révolution française pour l'ensemble. Sur chacune des facettes de sa personnalité apparente (voyant, magnétiseur, médecin, guérisseur, franc-maçon, aigrefin de renom, certainement, un être moralement indéfinissable), tant le Rite qu'il a fondé attirait des caractères trempés dans une eau, tout sauf plate.

Son rite occupait une place spéciale parmi les rites hermétiques.

Une chose est certaine, CAGLIOSTRO avait fréquenté la loge maltaise « Secret et Harmonie » existant déjà au début du XVIIIe siècle, et y  avait reçu, entre 1767 et 1775 du Chevalier Luigi d’AQUINO, frère du Grand Maître national de la Maçonnerie Napolitaine, les Arcana Arcanorum, ces trois très hauts grades hermétiques, venus en droite ligne des secrets d'immortalité de l'Ancienne Égypte qui vont constituer les 87, 88, 89 et 90e degrés du  Rite de MISRAÏM,  composant  ce  que  l’on  a dénommé

Giuseppe Balsamo Comte de Cagliostro          « l’échelle de  Naples » ou « scala di Napoli »..

Que sont donc les Arcana Arcanorum ? De très hauts grades, qui sont conservés dans un Souverain Sanctuaire par les Grands Conservateurs du Rite, et qui chapeautent l’édifice d’une Maçonnerie, qui en plus de posséder les 33 degrés supérieurs de l’écossisme, adjoint ces quelques degrés supplémentaires... Il y serait question d’enseignements concernant la survie de l’âme conformément à l’antique pneumatologie néoplatonicienne, et des principes d’alchimie interne y seraient développés.

 

Les Loges Maltaises et les Arcana-Arcanorum

Il aurait existé une Maçonnerie occulte de Malte dont les Grands Maîtres auraient eu la charge d’années en années, sans que Rome n’en pût savoir grand-chose. Ainsi Manuel PINTO de FONSECA — Grand Maître de 1741 à 1773, qui donne le change en expulsant six chevaliers qui maçonnaient clandestinement — est soupçonné d’avoir « dissipé des sommes immenses à la recherche de la pierre philosophale ». Quant au grand Maître Emmanuel de ROHAN — qui eut le magistère de 1775 à 1797 et fut le neveu du cardinal de ROHAN —, il est soupçonné par BROADLEY de ne pas être membre de la Loge, mais d’être Maçon « …mais les impératifs politiques et les préjugés l’empêchaient de le déclarer ouvertement ».

En 1764 fut fondée à Malte la nouvelle Loge Saint John’s of Secrecy and Harmony. On y trouve la présence du marchand danois KOLMER qui y fait tant de prosélytisme pour son rite maçonnique pétri de théurgie et de kabbale, qu’à la fin la Loge est mise en sommeil en 1771.

Or ce KOLMER est, selon certains auteurs, l’initiateur maçonnique de CAGLIOSTRO, dans les années 1766-1767. Dans cette Maçonnerie maltaise, CAGLIOSTRO œuvre au laboratoire alchimique du Grand Maître de l’Ordre de Malte, PINTO de FONSECA. Puis lorsque la main est donnée au Grand Maître Emmanuel de ROHAN, en 1775, ce dernier suit l’enseignement de CAGLIOSTRO. C’est la date à laquelle CAGLIOSTRO revient sur l’île, où il retrouve un autre chevalier de l’ordre de Malte, Luigi d’AQUINO di CARAMANICO. A cette époque il semble bien que d’AQUINO et CAGLIOSTRO aient un projet spécial. CAGLIOSTRO se déplace vers Naples où il reste plusieurs mois, « à professer la chimie et la kabbale ».  D’AQUINO di CARAMANICO fait de même, s’installe à Naples, où il dépose les trois degrés secrets dans la Maçonnerie : les Arcana Arcanorum, plus tard agrégés au rite de MISRAÏM sous l’autre appellation du Régime de Naples. Plus tard encore, les contacts entre CAGLIOSTRO et les chevaliers de l’ordre de Malte sont maintenus, puisque, dix ans après la création des Arcana Arcanorum, la Loge Saint John’s of Secrecy and Harmony est recomposée en 1785. Le député Grand Maître de la Loge en était un chevalier de l’ordre de Malte, le bailli Charles-ABEL de LORAS. Or celui-ci fut, quatre ans plus tard, Vénérable de la Loge romaine La réunion des amis sincères, lorsqu’il reprit contact avec CAGLIOSTRO sur le continent. A cette même époque, vers 1788, toujours selon REGHELLINI de SCHIO, CAGLIOSTRO s’est rendu à Rovereto, une bourgade non loin de

                       Manuel Pinto de Fonseca                            Venise, pour y établir une Loge. C’est donc peut-être dans cette Loge que s’opéra le transfert des Arcana Arcanorum dans le Rite de MISRAÏM. Il est donc possible que le Rite y ait reçu un héritage gnostique ou égyptien. Si c’est le cas, il l’a reçu de CAGLIOSTRO et c’est pourquoi l’importance (réelle ou fictive) du personnage ne doit pas être mésestimée.

CAGLIOSTRO était de très proche du Grand Maître de l'Ordre des Chevaliers de Malte, Manuel PINTO FONSECA, avec lequel il aurait effectué des expériences alchimiques. Il fonde en 1784 le « Rite de la Haute maçonnerie Egyptienne » dans sa Loge mère « la sagesse triomphante » de Lyon. Bien que ne possédant que trois degrés (apprenti, compagnon et maître égyptien), le Rite de MISRAÏM semble lui être indirectement relié, même si, aujourd'hui encore, il est encore difficile d'établir avec certitude où CAGLIOSTRO fut réellement initié et comment il bâtit son Rite. Peu après, un groupe de francs-maçons (appartenant à la communauté protestante anti trinitaire de Socino), membres de cette Loge égyptienne, reçurent de Cagliostro (qui à cette époque séjournait à Trente) une autre initiation maçonnique.

Selon Robert AMBELAIN, CAGLIOSTRO aurait été initié à des traditions de l’Antique Egypte qui existaient encore à cette époque dans des milieux coptes du Caire où Robert AMBELAIN aurait retrouvé la trace de son initiation.

Ces milieux coptes existaient encore avant la guerre de 1914 sous le nom de « Roses+Croix d’Orient ». AMBELAIN possédait un rituel oraculaire qui remontait à l’Antique Egypte, que CAGLIOSTRO possédait également et qu’il utilisait. Il n’était pas seulement un franc-maçon, mais aussi un occultiste. Il faut noter que CAGLIOSTRO a très peu écrit, il préférait agir. Il reste tout de même de lui ces phrases bien connues « Je ne suis d’aucune époque ni d’aucun lieu ; en dehors du temps et de l’espace, mon être spirituel vit son éternelle existence ».

CAGLIOSTRO fut dénommé aussi « le grand Cophte » ou «le hiérophante», ce qui dans la maçonnerie égyptienne, traduit son but : la constitution du « Corps glorieux » ou « Corps de gloire ».

L’hiérophante ou " Grand Cophte ", son titre en Maçonnerie égyptienne, affichait son objectif ; la construction d'un corps de lumière, un corps glorieux. Dans ses quarantaines spirituelles, il précise : " Chacun recevra en propre le Pentagone (Étoile Flamboyante),  c'est-à-dire   cette   feuille  vierge  sur   laquelle  les   Anges  primitifs  ont

                        Robert Ambelain                  imprimé leurs chiffres et leurs sceaux, et muni de laquelle il se verra devenu Maître et chef d'exercice ; sans le secours d'aucun mortel, son esprit est empli d'un feu divin, son corps se fait aussi pur que celui de l'enfant le plus innocent, sa pénétration est sans limites, son pouvoir immense, et il n'aspire à plus rien d'autre qu'au repos pour atteindre l'immortalité et pouvoir dire lui-même : Ego sum qui sum. " Cette immortalité étant acquise pendant la vie physique, Cagliostro décrit ici une étape de l'alchimie interne. Ses Arcana Arcanorum étaient, et sont toujours aujourd’hui, « une voie alchimique interne, une voie de l’immortalité acquise sur terre par la constitution d’un Corps de Gloire »

En 1782, depuis la Loge égyptienne de l’Ile grecque ionienne de Zante, se propagea à Venise et dans les régions limitrophes un système initiatique maçonnique ayant des caractéristiques rituelles égyptiennes évidentes. Au cours de cette même année, Marc BEDARRIDE, affirme que son père Gad eut la visite d’un étrange Initié égyptien.

Gad BEDARRIDE était un maçon initié en 1771 à Avignon. Grand voyageur, il aurait reçu en 1782 à Cavaillon, la visite d’un mystérieux Initiateur égyptien dont on ne connait que le nom mystique : « Le Sage ANANIAH ». C’est lui qui aurait initié Gad aux Secrets de la Maçonnerie Egyptienne et lui aurait conféré toute une série de « hauts grades ».

Mais qui pouvait bien être ce mystérieux Initiateur ?

On pourrait voir en lui « un rabbin originaire du Proche Orient », se réclamant peut-être de ce SABBATA TSEVI (ou Zevi) dont, au XVIIe siècle, les prédications messianiques causèrent un grand trouble dans les communautés juives de l’Empire Ottaman. On peut aussi, comme Gérard GALTIER, le rapprocher « du célèbre kabbaliste Hayyim Joseph David AZULAI originaire de Jérusalem et adepte de l’école mystique d’Isaac LURIA qui, bien que très versé dans l’ésotérisme, n’était pas sabbataïste. Il voyagea beaucoup en Europe et on sait qu’il passa dans le Comtat Venaissin en 1777 ». Il pourrait tout aussi bien s’agir de ce fameux KOLMER qui avait vécu de nombreuses années à Alexandrie dont parle l’abbé jésuite et polémiste Augustin BARRUEL qui fit sa connaissance en 1770. Notons que l’abbé fut un des premiers et des plus célèbres auteurs antimaçonniques et fondateur d’une école historique qualifiée de « conspirationniste » ou de « théorie du complot » vis-à-vis de la révolution française. Il pourrait aussi s’agir, pourquoi pas, tout simplement … de CAGLIOSTRO lui-même.

Signalons ici que ce n'est pas là la première allusion historique au passage d'un Supérieur inconnu de la Maçonnerie égyptienne dans le Comtat Venaissin : un autre écrivain en avait donné la nouvelle vingt-trois années avant la parution de l'ouvrage de Marc BEDARRIDE. C'est l'initié VERNHES, qui, dans son plaidoyer pour le rite égyptien, paru en 1822, signalait, lui aussi, le passage du missionnaire ANANIAH dans le Midi de la France, en l'année 1782.

Selon  cet  auteur  abondant,  romantique  et  touffu, l'apôtre St Marc, l'évangéliste, aurait converti au christianisme un prêtre        « séraphique » nommé ORMUS, habitant d'Alexandrie. Il s'agit évidemment d'une erreur de plume : le mot « séraphique » ne peut s'appliquer qu'à une catégorie d'anges bien connue des dictionnaires théologiques ; remplaçons-le ici par celui de « prêtre du culte de Serapis » et la légende ainsi rapportée paraîtra moins choquante.

Cet ORMUS, converti avec six de ses collègues, aurait créé en Egypte une société initiatique des Sages de la Lumière et initié à ses mystères des représentants de l'Essénisme palestinien, dont les descendants   auraient   à   leur   tour   communiqué leurs secrets traditionnels aux chevaliers de Pa­lestine, qui les auraient ramenés en Europe en 1118. GARIMONT, patriarche de Jérusalem, aurait été leur chef et trois de leurs instructeurs auraient créé un Ordre de maçons orientaux à UPSAL, et l’aurait introduit peu après en Ecosse. Il est regrettable que cette littérature ne soit appuyée par aucune référence historique.

Le nom même du vulgarisateur varie d'ailleurs avec les années. D'ORMUS, il devient ORMESIUS dans un autre ouvrage de MARCONIS de NEGRE (1795-1868), fondateur en 1838 de l’Ordre de Memphis, et auteur de plusieurs ouvrages dont Le rameau d’Eleusis.

 

Le Rite des Parfaits Initiés d’Egypte

En 1785 le Rite des parfaits initiés d'Egypte, fut fondé à Lyon par l’Alchimiste ETTEILLA, anagramme d’ALIETTE, révélateur des secrets numériques du Tarot qu’il nomme le « Livre de Thot ». Ce Rite s’éteignit rapidement à la fin du siècle.

 

Le Rite Primitif de Narbonne

En 1798, le Rite primitif de Narbonne avait été importé en Egypte par des officiers de l'armée de Bonaparte, qui avaient installé une Loge au Caire. C'est dans cette Loge dont le Rite fut agrégé au Grand Orient de France en 1806, que fut initié Samuel HONIS, lequel, revenu en France en 1814, rétablit à Montauban, en 1815, une Grande Loge sous le nom « Les Disciples de Memphis », avec l'assistance de Gabriel MARCONIS de NEGRE, du baron DUMAS, du marquis de la ROQUE, de J. PETIT et Hippolyte LABRUNIE, anciens frères du Rite. Le Grand Maître était le Frère MARCONIS de NEGRE.

A la suite d'intrigues, cette grande Loge fut mise en sommeil le 7 mars 1816. Les travaux furent repris en 1826 par une partie de ses membres, mais sous l'obédience du Grand Orient de France.

 

L’Ordre sacré des Sophisiens

L’Ordre sacré des Sophisiens, ou le Saint Rite des Sophisiens, était une société secrète française basée sur les mystères isisiens, fondée en 1801 par des officiers militaires impliqués dans la campagne égyptienne (1798-1801) sous Napoléon BONAPARTE pendant la guerre de la deuxième coalition. Dominique VIVANT DENON en fut membre ainsi que de la loge parisienne "La parfaite Réunion". Celui-ci compte parmi les érudits qui feront de cet échec stratégique et militaire un succès que le jeune général BONAPARTE saura exploiter dès son retour en France.

 

Les Amis du Désert

En 1806, à Toulouse Auch et Montauban, l'archéologue Alexandre Du MEGE (ou DUMEGE) fonde un rite égyptien : la Souveraine Pyramide des Amis du Désert. Très influencé par Jean Jacques ROUSSEAU, LAPEYROUSE, maçon très actif et ami d’Alexandre Du MEGE fonde la Loge des Amis du désert et entre en contact avec la loge voisine Napoleomagne, dont les membres avaient réveillé le rite écossais jacobite des "Écossais Fidèles", qui aurait été apporté à Toulouse en 1747 par George LOCKHART, aide de camp de Charles-Édouard STUART, et dont il deviendra Vénérable de la Grande Loge Provinciale. Ce rite, également dit "de la Vielle Bru", féru d'occultisme oriental, verra finalement son authenticité rejetée en 1812 par le Grand Directoire des Rites du Grand Orient de France.

Ces Rites, connus pour quelques-uns, s'inspiraient de ce que l'on appelait à cette époque « la tradition égyptienne », mais qui consistait en une association de traditions et de textes du Moyen Orient, telles qu'elles étaient comprises à cette époque. C'est une tradition qu'on pourrait appeler néo-platonique et pythagorienne. L'Italie n'est pas très loin de la Grèce (et à la fois a eu de grandes colonies grecques sur son sol) et cette tradition ancienne s'est considérablement mélangée à la franc-maçonnerie italienne au dix-huitième siècle. D'autre part, à partir de cette époque, il y avait des loges d'esprit libéral et des loges d'esprit ésotérique. En Italie, les Loges d'esprit ésotérique, étaient essentiellement présentes à Venise et à Naples, qui, comme nous l'avons vu, sont deux villes importantes pour le Rite MISRAÏM.

Les loges vénitiennes et napolitaines ont été associés à tous les grands systèmes occultistes et templiers de l'époque, que ce soit la stricte observation des Templiers ou le Rite Recréé écossais de Lyon, le Rite of the Mother Lodge de Marseille ou le Scottish Philosophic Rite of Avignon. Ce qui signifie qu'à l'aube de la Révolution française, ces différentes Loges sont devenues des dépositaires de toute une série de systèmes de degrés. Ainsi, nous pouvons observer que le Rite MISRAÏM descend partiellement de la synthèse de ces systèmes, provoquée dans les Loges Vénitiennes et Napolitaines.

La Kabbale judéo-chrétienne, l'hermétisme néo-platonicien, l'ésotérisme, les traditions chevaleresques et autres trouvaient là une source naturelle d'expression. Toutes ces influences sont à prendre en compte, lorsque l'on souhaite comprendre l'état d'esprit des Obédiences Egyptiennes et les enjeux qui s'y développeront dans les siècles qui suivirent.

C’est pourquoi, parler de l'histoire des rites égyptiens est utile pour en comprendre les évolutions, mais il est tout aussi important de mettre en lumière leurs spécificités en se demandant ce qu'ils peuvent avoir de différences caractéristiques et novatrices. En effet, si un rite a une certaine pérennité, c'est vraisemblablement parce qu’il correspond à une sensibilité, à une expression qui a sa place dans la tradition Maçonnique. Mais pour qu'il se développe d'une manière stable et équilibrée, encore faut-il que l'on puisse percevoir dans son caractère ésotérique une certaine originalité.

Les Rites Egyptiens ne sont pas des rites comme les autres. Ils se disent héritage et dépôt des Ecoles initiatiques qui leur ont fait traverser les siècles jusqu’à nos jours. Leurs diverses filiations se réfèrent à des traditions plus ou moins lointaines ancrées dans la conscience collective des peuples, que certains tendent à nommer « la tradition Primordiale », sur laquelle elles se souchent et que nous pourrions symboliser par un arbre gigantesque dont les racines se perdent dans la nuit des temps, au tronc duquel s’ornent de multiples branches dont chacune d’entre-elles puise sa sève, rameau vivant possédant sa force et sa vigueur.

La filiation misraïmites, quant à elle, remonterait à l'Antiquité pré-chrétienne, à l’Egypte pharaonique et à l’Inde védique, dont la richesse traverse plusieurs cultures, les alimente et les rend universels.

Mais ne faisons pas l'erreur de croire que les fondateurs des Rites maçonniques étaient des êtres exceptionnels, d'une immense culture et d'une vertu irréprochable. L'étude approfondie de l'histoire de ces rites nous montrerait vite, qu'ici comme ailleurs dans les traditions, le courant initiatique fait parfois fi des personnes. Pour comprendre, il nous faut donc regarder au travers des acteurs de l'histoire du rite, percevoir leurs intentions, leurs espoirs, leur vision, en un mot leurs Utopies. Il faut faire le tri entre les imperfections inhérentes à l'époque historique, et un certain manque de connaissance. Entre une absence de différenciation du mythe et du réel. Il faut aller au-delà des voiles et des apparences, par-delà les dérives et les délires théocratiques, pour saisir la part profondément originale que recèlent ces rites.

Les écoles de Mystères existaient dans l’Égypte pharaonique. C’était des universités spécialisées dans les temples de Haute et de Basse Egypte, se référant aux mystères des Livres de THOT. Elles se développèrent principalement sous son Nouvel Empire. C’est pourquoi le calendrier nilotique utilisé en référence dans les Loges égyptiennes débute au couronnement du pharaon Ramsès II.

L'hermétisme et les Écoles de Mystères renaissent également à Alexandrie, dans une cité cosmopolite fondée en Égypte par les Grecs et dont un tiers de la population est d’extraction juive. Ils empruntèrent aux mythes issus de l’Égypte antique (Osiris, Isis, etc.) qu’ils restituèrent dans un cadre fortement influencé par la culture grecque. Au cours des deux siècles qui précèdent l’ère chrétienne, des textes ont circulé, attribués à HERMES -dieu Grec- qui prétendaient révéler l'antique sagesse égyptienne. Réunis plus tard sous le nom de « Corpus Hermeticum », ils assurèrent la floraison des sciences hermétiques ; la magie, l'alchimie et l'astrologie. L’Égypte qui rédigea ces textes hermétiques auxquels les rites maçonniques égyptiens font référence, n’est donc pas l’Égypte pharaonique, mais un monde égypto-grec. La datation exacte des textes hermétiques ayant été plus tardive que leur traduction, nous ne pouvons reprocher aux occultistes et aux rites maçonniques égyptiens d'avoir suivi les auteurs grecs en considérant que l’Égypte dont ils parlaient était l’Égypte pharaonique.

Mais ce n’est pas à cette Égypte là que font référence les textes hermétiques et les rites maçonniques égyptiens. Comme la Jérusalem céleste dans l’Apocalypse ou La Mecque dans le Coran, toute révélation sacralise la terre où elle advient et fait d’elle le centre symbolique du monde. De même, la révélation hermétique survient au centre d’un univers -symbolique plus que géographique-, incarné par la terre d’Égypte, décrite dans le Corpus Hermeticum comme le cœur de la Création, le foyer actif de la révélation. Cette terre est d’emblée considérée comme entretenant des relations privilégiées avec le ciel, favorisant ces échanges auxquels la Table d’Émeraude fait allusion : " Ignores-tu donc, ASCLEPIUS, que l’Égypte est la copie du ciel, ou, pour mieux dire, le lieu où se transfèrent et se projettent ici-bas toutes les opérations qui gouvernent et mettent en œuvre les forces célestes ? Bien plus, s’il faut le dire, notre terre est le temple du monde entier. "

L'intérêt pour la tradition égyptienne émerge plus nettement avec l'Académie platonicienne de Florence, fondée en 1450. Traduit pour la première fois en 1472, du grec en latin, par Marsile FICIN, le Corpus Hermeticum connaît une brillante diffusion puisque plus de trente-deux éditions en furent réalisées. Puis on s'intéresse de plus en plus aux hiéroglyphes.

Il est illusoire de penser qu’une filiation historique ininterrompue aurait permis aux secrets des Mystères antiques de parvenir jusqu'aux loges maçonniques. Mais ils ne sont pas tombés du ciel et il est probable qu'ils y sont parvenus par des lignées de mages et d'alchimistes qui œuvrèrent dans le silence de leur oratoire, avec ou sans patente.

Alors, qu’importe aujourd’hui que de nouvelles obédiences voient le jour, se réclamant de Patentes qu’ils ne possèdent vraisemblablement pas, si elles travaillent en stricte observance des règles fondatrices de l’Ordre auquel elles souhaitent appartenir.